D’abord, je ne mêle pas le débat sur l’orthographe et le langage SMS. Le langage SMS ne me gêne pas tant qu’il reste cantonné aux SMS. De même que le langage radio
(Je vous reçois fort et clair, Alfa Tango Charly. A vous !) quand il ne s’applique qu’aux communications radio. Laissons donc en paix les SMS. Moi-même, je m’y essaie parfois avec amusement.
Venons-en au sujet. Pour ma part, il ne m’intéresse pas de discuter des détails de la réforme de 1990 ou de toute autre réforme. Franchement,
nénufar ou
nénuphar,
igloo ou
iglou (iglou, iglou, iglou… il est des nôtres…),
boursoufler ou
boursouffler,
trois cents quarante-et-un ou
trois cent quarante et un, je m’en fiche un peu. (Sauf, bien sûr, dans mon activité professionnelle, quand on me rémunère pour traquer les fautes.) Pour tout dire, je pense avoir écrit trois fois dans toute mon existence le mot nénufar. Pour igloo, pas mieux. Et les nombres avec des mille et des cents, des traits d’union ou non, seuls mon banquier et mon percepteur les lisent, et ils ne s’intéressent qu’aux sommes que je leur annonce. Tout ça ne mérite vraiment pas une réforme. Et je pense que nos gouvernants le pensent aussi.
Je pense qu’en réalité la réforme de 1990 et ses éventuelles petites sœurs sont des cache-misère, des trompe-l’œil, des rideaux de fumée : on détourne l’attention, on suscite volontairement des discussions sur le sexe des anges pour empêcher que soit mis au jour le véritable problème. Le vrai problème, c’est que des millions de nos concitoyens ne connaissent pas non seulement l’orthographe du français, mais le français lui-même : la grammaire, la conjugaison, la nature et la fonction des différents éléments du langage, la construction des phrases, la structure élémentaire de l’expression en français. Ils sont étrangers à leur propre langue.
Le problème, c’est ceci, lu il y a trois jours sur Facebook (et je précise que l’auteur du texte qui suit, que je connais un peu, n’est pas un ado des cités ; il a plus de 50 ans et est animateur dans une radio locale) :
je suis d'accort avec toi ils font ce qui'il l'eur plait bises mes moi je n'aime pas ça un jour je partirais voir si l'abas je trouve la perle rare et je sais que je trouverais car un jour tu verras
quelle stile ma simone et ton mari ses le pianiste
tu ma dit que l'on allais écris des chanson pour toi
ses bien feras tu un album
Je n’ai pas changé à ces lignes une virgule (de toute façon il n’y en avait pas ! ni ponctuation, ni capitales).
Alors je pose la question : quelle réforme permettra de remédier à cela ? Là on n’est plus dans le nénuf(ph)ar. On est dans une autre dimension ! Dans un monde où tout est mélangé : articles et pronoms, adjectifs et adverbes, substantifs et verbes, démonstratifs et possessifs, féminin et masculin. Les malheureux qui écrivent ainsi sont hors de portée de toute réforme. Autorisez-les à écrire
chariot ou
nénufar (de toute façon ils s’autorisent tout seuls), ils vous écriront
chatriaud ou
sharriau,
neznuphare ou
nainuefart. Et ils sont des millions et des millions !
Il y a aussi ceux qui savent mais se foutent complètement de la façon dont ils écrivent. J’ai fait une expérience avec des jeunes de ma famille (avec des adultes, je n’aurais pas osé : ils l’auraient mal pris !). Je leur ai demandé de réfléchir à l’orthographe de mots qu’ils avaient écrits n’importe comment sur Facebook. (Je suis « ami » à la mode Facebook avec plusieurs de mes neveux et nièces.) Ils y ont consacré quelques dizaines de secondes et me les ont orthographiés correctement. Donc ils « savaient », mais considéraient que ce n’était pas important. D’autres, il est vrai, ne savent pas, ne savent rien. Mais, je le répète, quelle réforme de l'orthographe pourra les sauver ?
Alors, la solution ? Vaste programme. Il faudrait tout reprendre, depuis les petites classes. Et, avec la crise, on va nous dire qu’il faut encore tailler dans les effectifs de l’Education nationale… En tout cas, je me refuse à cautionner cette opération de diversion que constitue toute prétendue réforme de l’orthographe.
P.S. Itello a écrit ceci :
Itello a écrit :Les professeurs sont réticents à former les élèves à la nouvelle orthographe, et je le comprends aisément : ils ont appris des règles différentes dans leur jeunesse et considèrent donc celles-ci comme artificielles.
D'où je conclus que, selon Itello, les professeurs considèrent comme artificielles les règles qu'ils ont apprises dans leur jeunesse. Est-ce bien ce qu'il voulait dire ?